LE 19 JUIN 1953, Juilus et Ethel Rosenberg, deux Américains progressistes,
parents de deux jeunes enfants, sont exécutés sur la chaise électrique à la prison de
Sing Sing, dans l'Etat de New-York. Accusés d'avoir " remis aux mains des Russes "
Le " secret de la bombe atomique ", ils ont, jusqu'au dernier instant, proclamé leur
innocence. Une ligne téléphonique directe reliait la Maison Blanche au lieu du
supplice s'ils s'étaient " avoués" coupables le président Eisenhower aurait
immédiatement signé leur grâce. ils ont eu l'héroïsme, l'un et l'autre, de ne pas céder
à ce chantage; c'est pour cela qu'ils sont morts. Pendant plusieurs mois, dans le
monde entier, un immense mouvement de protestation avait mobilisé les foules, les
plus éminentes personnalités. Des chefs d'Etat, le pape, des artistes et écrivains de
renom étaient intervenus pour tenter de sauver les Rosenberg. En France, c'est le
MRAP qui fut à l'origine de cette campagne, d'une ampleur et d'une unanimité
exceptionnelles.

Guerre froide et mac-carthysme
On ne peut comprendre oe terrible déni de justioe qu'en le situant dans son contexte
historique la guerre froide et le mac-carthysme.
La seconde guerre mondiale a pris fin en 1945. Dés 1946, Churchili parle du " rideau
de fer ", qui sépare l'Europe en deux parties inconciliables. L'Allemagne occupée se
trouve partagée entre les deux camps, et bientôt, deux Etats hostiles sont instaurés,
la RFA, puis la RDA, inclus dans les blocs économiques et militaires qui se
constituent à l'Ouest et à l'Est.
Aux Etats-Unis, ce retournement des alliances se traduit par une virulente action
gouvernementale contre les <rouges ", à l'intérieur comme à l'extérieur. Quiconque
est soupçonné de sympathie avec l'Union soviétique - communistes, progressistes,
pacifistes, partisans de la politique de Roosevelt (mort en 1945) - devient un
dangereux ennemi.
Le sénateur Joseph McCarthy acquiert une énorme notoriété en dénonçant la
prétendue mainmise des communistes sur le ministère des Affaires étrangères. Les
Commissions des " activités antiaméricaines" qui fonctionnent au Congrès, ainsi que
dans tous les secteurs de l'administration fédérale et de chaque Etat contrôlent le "
loyalisme " des citoyens. La peur et la délation &installent dans le pays. Des milliers
de personnes sont poursuivies, perdent leurs responsabilités, voire leur emploi. C'est
la " chasse aux sorcières ". Toute critique de la politique officielle est ainsi étouffée,
dans un climat de peur et d'hystérie.

Un montage politico-policier
En 1949, I'URSS expérimente sa première bombe atomique. Les gouvernants
américains, qui se targuaient - contre l'avis des experts - d'en détenir le monopole
pour vingt ans, aient à la catastrophe et à la trahison: qui a livré à l'ennemi le " secret
" qui lui permet désormais de détruire l'Amérique ? La réputation d'infaîllibilité du
FBI est donc en cause. Son directeur, Edgar Hoover alerte tous ses policiers, ainsi
que la population: " Trouvez les voleurs! "
Mais son incapacité se confirme. Au début de 1950, c'est à Londres que le physicien
anglais Klaus Fuchs, réfugié d'Allemagne nazie, et qui avait pris part, aux Etats-Unis,
à la réalisation de la bombe atomique, reconnaît avoir communiqué à ses collègues
d'URSS, pays alors allié, des informations sur ses recherches, alors qu'il travaillait à
Los Alamos. Il a agi par conviction, pour donner le maximum de chances au camp
antihitlérien pendant la guerre. Fuchs est condamné à quatorze ans de prison.
Pour sauver la face, Hoover doit découvrir d'urgence comment Fuchs a pu
transmettre le prétendu <secret ". Davantage que dans les milieux compétents, il
fouille dans les fichiers de " rouges " (ou supposés tels) accumulés depuis plusieurs
années.
Le FBI met en avant un oertain Harry Gold, un chimiste qui a coopéré naguère avec
un organisme soviétique légal qui achetait des brevets industriels aux Etats-Unis. Ce
personnage bizarre, mythomane, couard et influençable, déclare un beau matin qu'il a
été le " courrier " de Fuchs. On dépêche à Londres deux policiers avec des photos de
Gold. Ils déclarent que Fuchs l'a reconnu. On saura plus tard que c'était faux. C'est
sur ce premier mensonge que s'échafaude le montage conçu par le FB1. Il y en aura
bien d'autres. Un second " suspect " apparaît: David Greenglass, un sergent-
mécanicien affecté pendant la guerre dans un atelier de Los Alamos. Il s'est alors
livré à quelques malversations, ce qui le rend, lui aussi, vulnérable. Au cours d'une
nuit d'interrogatoire, ce petit voleur se mue en grand espion.
Les enquêteurs établissent un lien entre lui et Gold : celui-ci aurait également reçu
des informations secrétes de Greenglass, qui prendront peu à peu plus d'importance
dans les médias que celles fournies par Fuchs.
Associé à son beau-frère, Julius Rosenberg, dans une petite affaire commerciale qui
périclite, Greenglass est en conflit d'intérêts avec lui. C'est sans doute par rancoeur
qu'il le met en cause, sans doute aussi parce que les policiers le lui suggèrent: ce
proche parent a naguère subi les foudres d'une commission d'épuration et perdu son
emploi dans une entreprise travaillant pour l'armée. Greenglass soutien que
Rosenberg l'a "recruté "; il implique, au passage, Ethel, la femme de Julius, qui est
sa propre soeur, ainsi que son épouse, Ruth; il prétend avoir remis à Rosenberg "
une assez bonne description de la bombe atomique ", assortie de croquis. Seuls les
Rosenberg sont condamnés à la peine capitale, et Ruth Greenglass, bénéficiaire de sa
" coopération " et de celle de David, ne sera même pas poursuivie.
En un mois, le " réseau Euchs " (dont on ne parle plus) est devenu le " réseau
Rosenberg ". Manipulation des faits, témoignages évolutifs concoctés selon les
besoins du scénario par le FBI, pièces à convictions truquées ou inventées, dans le
climat de haine attisée par les médias, font des Rosenberg les boucs émissaires
réclamés par Hoover. Le procureur et le juge, choisis à cet effet, se prêteront avec
zèle à la mascarade judiciaire. Si bien que, pour engager la lutte, an France et ailleurs,
en faveur des deux condamnés, le moyen le plus efficace fut de diffuser le compte
rendu sténographique de leur procès, édité par le Comité pour la justice, constitué aux
Etats-Unis.

L'Affaire Rosenberg n'est pas close

Cet événement, qu'on a qualifié d' " Affaire Dreyfus de la guerre froide ", ne peut se
ramener à une simple erreur judiciaire elle n'est pas à classer au chapitre de
l'espionnage. Il s'agit d'une machination délibérément élaborée au plus haut niveau du
pouvoir politique, d'un crime d'Etat.
Par la suite, de nouveaux aspects de la manipulation ont été continuellement mis à
jour En 1975, en s'appuyant sur le " Freedom of Information Ad ", (une loi entre
ouvrant aux citoyens l'accès à certaines archives les concernant), les fils des
Rosenberg, Michael et Robert Meeropol (du nom de leur famille adoptive) ont pu
révéler des documents significatifs du FBI et du ministère de la Justice jusque là
secrets.
Sur la base de ce qu'on sait maintenant, l'Association du Barreau Américain (ABA) -
qui réunit avocats et magistrats - a organisé en 1993 un procès simulé des Rosenberg,
où un jury réel, tiré au sort, a conclu à la non-culpabilité.
Des témoignages d'anciens agents du KGB soviétique (en dépit de contradictions),
les déclarations feutrées de quelques porte-paroles officieux font ressortir qu'Ethel
Rosenberg n'était à coup sûr pas coupable..et que Julius ne s'est en tout cas pas livré
à l'espionnage nucléaire. Leur exécution fut décidée pour "  faire un exemple "
En 1997, un physicien américain, qui vit aujourd'hui en Grande-Bretagne, Thedore
Hall, a reconnu, dans un livre retentissant, " Bombshell ", (1) être l'auteur véritable
des " fuites " imputées à Greenglass et Rosenberg. Il a, comme Fuchs, agi par
conviction, pour que la bombe atomique ne reste en possession d'un seul pays.
Mais les autorités américaines s'obstinent dans leur refus de rouvrir le dossier.
Chaque fois que de nouveaux éléments viennent en confirmer la nécessité, elles
s'efforcent de troubler l'opinion avec de prétendues " preuves nouvelles " aussi peu
probantes que les précédentes, à l'instar des adversaires du capitaine Dreyfus, il y a
cent ans.
Pour le 45"" anniversaire de l'exécution (19 juin 1998), les fils des Rosenberg ont
publié une déclaration en dix points qui met en lumière cette mauvaise foi: " Les
dirigeants et les agents du FBI, les procureurs du gouvernement, et d'autres, ont
sciemment, délibérément et perfidement manipulé, avec préméditation, le processus
judiciaire, afin d'exécuter deux personnes pour un crime qu'elles n'avaient pas
commis (...). Il est grand temps que l'Etat américain assume la responsabilité de ses
mauvaises actions ".
Tant que justice n'est pas rendue, l'Affaire Rosenberg continue..

(1) " Bombshell The Secret Story of Arnerica's Unknown Spy Conspiracy ", par Joseph Albright et Marcia Kunstel. Times
Books, New York, 1997.


Pour en savoir plus
Lors du 40ième anniversaire de l'exécution des Rosenberg (1993), plusieurs centaines < de personnalités
françaises, de tous les horizons, ont signé une lettre au président Clinton, demandant la réouverture du
dossier. Par la suite, le comité d'initiative s'est constitué en une Association pour le Réexamen de l'Affaire
Rosenberg, présidée par Albert Lévy.
Celle-ci a édité en 1998 une brochure illustrée de 48 pages, qui fait pour la première fois le point sur l'affaire
elle-même et sur les développements intervenus depuis.
On peut se la procurer au Siège du MRAP ou la commander à l'Association pour le Réexamen de l'Affaire
Rosemberg, 43 boulevard de Magenta, 74010 Paris. Prix : 40 F + frais d'expéditions :10F.

L'AFFAIRE ROSENBERG